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Le blé a d'abord été récolté à
l'état sauvage puis cultivé depuis le néolithique
dans le « croissant fertile » (actuels Liban, Syrie, Sud
de la Turquie) où subsistent à ce jour des blés
sauvages. |
Le
blé civilisateur : où ? quand ? comment ?
-
- C'est
donc par le blé qu'a commencé la "culture",
le mot étant pris dans toutes ses acceptations : agricole
et sociale. C'est par cette céréale que l'homme qui
avait été
nomade, cueilleur et chasseur pendant des centaines de millénaires,
s'est fixé et a créé un mode de vie complètement
nouveau. Tournant décisif de la civilisation, pour la première
fois, l'espèce humaine a agit sur la nature et l'environnement
de façon
à améliorer sa subsistance et en régulariser la
production
à son profit.
Evènement
considérable dont nous sommes toujours tributaires. A ce moment
nous sommes passés du paléolithique (paléo =
ancien) à
une ère nouvelle : le néolithique (néo = nouveau).
Cette transition a demandé des innovations à la fois
de techniques, de modes de pensée et de concepts sociaux. Des
symboles différents de ceux utilisés jusque là sont
apparus. L'ensemble de ces transformations pratiques et mentales ont été telles
qu'on qualifie ce passage de "révolution néolithique".
Le blé sauvage et la saga du "croissant
fertile
Cette
étape majeure est connue par plusieurs faisceaux de données
et de documents. L'archéologie, en premier lieu, par le décapage
et l'analyse fine des restes fossiles des premiers villages a permis
de connaître les phases de transformation des sociétés
agraires et de dater les étapes avec précision, en particulier
grâce aux méthodes utilisant le carbone 14. La botanique
et la génétique permettent, d'autre part, l'examen des
nombreux changements qui mènent du blé
sauvage au froment produisant la farine panifiable actuelle. Enfin,
des cultures expérimentales de blé sauvage ont indiqué comment, à
quelle vitesse et avec quel rendement ont pu se faire les récoltes
préhistoriques avec les moyens de défrichement et les
outils existant alors. L'ensemble des données disponibles indique
que ce moment essentiel est intervenu au Moyen-Orient. La zone nucléaire
constitue ce qu'on appelle le "Noyau Levantin" :
les principales découvertes décisives ont été faites
dans la région qui va de la vallée du Jourdain à l'Euphrate
et qui forme un large arc de cercle ou "Croissant Fertile".
On y trouve des steppes herbacées où poussent encore
des blés sauvages ainsi que les traces des transformations de
la plante et des premières sociétés préagraires
puis agraires. A partir de cette zone initiale, les innovations de
nos lointains ancêtres ont diffusé vers l'Occident.
- Les
espèces archaïques de blé qu'on trouve encore
dans ces régions, dispersées parmi d'autres plantes
herbacées, sont bien différentes du froment cultivé actuellement.
La première différence porte sur le mode de dispersion
des graines. Les blés sauvages se reproduisent spontanément
alors que le blé domestique ne peut le faire sans l'aide de
l'homme. La raison se situe au niveau du rachis (ou axe) de l'épi.
Initialement, dans des formes spontanées, il était
fragile et se fragmentait en dispersant les semences. Les longues
barbes qui les entouraient se déformaient en fonction de l'humidité
du sol et finissaient par enterrer spontanément les grains,
qui ensuite pouvaient germer dans le sol. Si l'avantage de cette fragmentation
du rachis est évidente pour l'ensemencement naturel, cela constitue
un gros inconvénient en pratique agricole : les épis
mûrs se dispersent et sont impossibles
à moissonner. Les grains furent donc vraisemblablement cueillis
grain par grain ; les épis les plus solides ont du être
favorisés par ce mode de récolte et peu à peu
naturellement sélectionnés. On obtint progressivement
des variétés à "rachis solide" résistant
mieux au moissonnage.
Autre
difficulté pour la collecte des espèces primitives :
elles avaient des grains "vêtus" c'est-à-dire
avec des enveloppes membraneuses qui ne peuvent être détachées
par vannage et battage, de plus ces grains étaient
petits, pauvres en réserves et surtout dépourvus de gluten
: la farine n'était donc pas panifiable.
Il faudra donc une longue sélection du patrimoine génétique
pour obtenir des blés moissonables, d'une part, et producteurs
d'une farine capable de donner du pain grâce, d'autre part, à l'évolution
remarquable du blé depuis les plantes sauvages. Elle demande un
minimum d'explication scientifique car elle sous-tend son importance
pratique et symbolique. La plupart des êtres vivants ont une reproduction
croisée. Pour les animaux, elle est obligatoire puisque les sexes
sont séparés et qu'elle implique la rencontre d'individus
mâles et femelles. Elle a pour conséquence un brassage génétique,
chaque individu recevant un équipement héréditaire
maternel et un équipement paternel. Pour les végétaux,
les deux sexes sont en général réunis dans la même
fleur : le système est hermaphrodite. Il peut y avoir autofécondation mais
le plus souvent un certain nombre de filtrages évite la fécondation
d'un individu par son propre pollen. Celui-ci est transporté -
par le vent, les insectes, les oiseaux - sur la fleur d'un autre individu.
Il y a donc également comme chez les animaux fécondation
croisée et brassage génétique, c'est-à-dire
renouvellement à chaque génération avec apport maternel
et paternel. Le blé est différent et assez exceptionnel
dans le monde végétal : la fécondation a lieu dans
la fleur avant même qu'elle ne s'ouvre et ne s'épanouisse
de sorte qu'il y a effectivement une autofécondation à l'intérieur
même du bouton floral.
Les
éventuels changements génétiques qui se produisent
spontanément (mutations) au lieu de survenir de façon aléatoire,
sont maintenus dans le patrimoine des descendants. Les potentialités
de sélection par l'homme ont été facilitées
par ce mode de transmission stable de génération en génération.
Ajoutons une remarque sur les propriétés génétiques
du blé car elles sont une des raisons de l'étonnante progression
de ses performances agroalimentaires jusqu'à nos jours. Le stock
des entités qui portent le patrimoine héréditaire,
les chromosomes, s'est multiplié chez les blés cultivés
et s'est hybridé
avec celui d'autres graminées. Les blés sauvages sont diploïdes
et ont, comme la plupart des espèces, un stock chromosomique double
(ici 2 fois 7 chromosomes), la moitié d'origine paternelle, l'autre
moitié
d'origine maternelle. Au cours de l'évolution ce stock chromosomique
s'est multiplié par deux produisant des blés tétraploïdes
comme l'amidonier ou le blé dur et même par trois (blés
hexaploïdes à 42 chromosomes) dans le cas du froment ou blé
tendre. En même temps une partie du patrimoine d'au moins deux
autres espèces de graminées sauvages encore mal identifiées
s'est métissée de façon fortuite avec celle des
blés. Il a été maintenu grâce à l'autofécondation
et cette addition a donné des aptitudes nouvelles. C'est ainsi
qu'a été
acquise par le froment la capacité de synthèse des éléments
du gluten qui rend la farine panifiable.
Au total, on constate ici une étonnante association des potentialités
d'une plante et des gestes de l'homme. Retenons surtout que, dès
le départ, doué de propriétés culturales
et nutritives remarquables, le genre blé s'est constamment diversifié et
amélioré. Ainsi, il est, en particulier, devenu moissonnable
et panifiable, ce qu'il n'était pas au départ. Ses rendements
ont constamment augmenté ; le nombre des variétés
cultivées ou cultivables n'a cessé
de s'accroître (plusieurs milliers) permettant une adaptation à
des situations de milieu très diverses et une résistance
aux parasites. C'est une plante domestique véritablement unique.
Cueillete et préculture
- Au
plan historique, il y eut ainsi une "période de préculture"
où les blés sauvages étaient utilisés et
involontairement sélectionnés avant que l'idée de
les mettre en culture fut imaginée. Des aléas de la présence
spontanée, nos lointains ancêtres passèrent à une
maîtrise inédite de la production avec la période
culture proprement dite. Une réserve de produit renouvelable pouvait
désormais être constituée sur initiative humaine.
Il a fallu bien des innovations techniques et des transformations mentales
pour mettre en culture le blé et le domestiquer. Il a été nécessaire
de dégager et préparer une surface de sol, penser à enfouir,
recouvrir et protéger les grains et les germinations contre les éléments,
la concurrence des autres espèces envahissantes qu'on appelle "mauvaises
herbes" ou plantes "messicoles" (c'est-à-dire qui
aiment les moissons), récolter les grains nouveaux, inventer des
silos pour les conserver, prévoir un calendrier de succession
de travaux ("Les
Travaux et les Jours ..." Hésiode).
Autant de gestes qui paraissent naturels et quasi spontanés mais
qui ont du être peu à peu mis au point et planifiés.
Il a fallu prévoir aussi de nouveaux défrichements et comprendre
que le sol s'épuise, penser aussi à garder des semences
pour les prochaines plantations. Les essais expérimentaux indiquent
que, au début, près de la moitié ou du tiers des
récoltes devait être mis de côté pour les futures
semailles. Tout un savoir a dû
se constituer, socialement transmissible, pour réaliser une
stratégie de subsistance.
Il y a eu ainsi une période où l'homme préhistorique
fut simplement "cueilleur de céréales" avant
d'être un vrai cultivateur. En adoptant ces plantes comme ressource
alimentaire principale, il a commencé par préparer
leur mise en culture. Toutes les données indiquent que cette étape
préagricole s'est produite dans le Croissant Fertile il y
a 12000 ans. Puis s'est développée la phase agraire.
Passant de la vie itinérante, nomade, à une vie fixée
stable, l'homme a créé un mode communautaire permettant
d'articuler la coexistence des groupes et des individus travaillant
dans les villages. Il s'agit bien d'une "révolution" dans
les techniques, les rythmes quotidiens et saisonniers, les modes
de pensée, les motivations, d'une façon générale
dans les structures mentales.
Cela fut donc conçu d'abord pour le blé - engrain,
amidonnier - et aussi pour l'orge puis d'autres espèces furent
maîtrisées : des légumineuses comme le pois ou
les fèves, également le lin pour l'huile de ses graines
et les fibres textiles de ses tiges dont on trouve des traces dans
les restes fossiles des anciens villages agraires.
Cette période décisive a été étudiée
en détail par les archéologues, particulièrement
dans la région de Jéricho, proche du Jourdain et dans
des villages du Moyen Euphrate. Des mortiers et des pilons ont été mis à
jour indiquant que, déjà, on broyait les grains pour
en extraire une mouture farineuse. Mais, fait notable, on ne trouve
pas encore de poterie, période dite "précéramique".
En l'absence de récipients aptes à l'hydratation et à la
cuisson, les grains étaient consommés crus ou grillés.
A l'état natif les grains et les molécules d'amidon
sont très compacts et peu accessibles et attaquables par nos
enzymes digestives. Leur valeur nutritive est faible. On trouve pourtant
de nombreuses traces d'abrasion sur les dents de ces hommes préhistoriques
: ce sont les stries d'usure qu'ont laissé
les microconcrétions de silice des enveloppes de ces grains,
telles les signatures de consommation de céréales crues.
Il est fait mention, dans le Nouveau Testament, de cette pratique
longtemps maintenue, ainsi "Jésus
vint à passer à travers un champ de blé. Ses
disciples eurent faim et se mirent à arracher les épis
et à les manger"
(Evangile selon Saint Matthieu).
Du cru au cuit
- La
pratique du grillage ou de la torréfaction semble avoir été
largement pratiquée et ce très tôt. Elle est réalisable
sur des pierres chaudes et présente de nombreux avantages. Elle
améliore la conservation des grains en augmentant la déshydratation
et elle favorise le décorticage des ces espèces "vêtues",
c'est-à-dire gardant après récolte leurs enveloppes
membraneuses. Elle permet de sauver les grains gâtés ou
moisis car cueillis avant maturation complète et encore humides.
Enfin, elle donne une saveur plus agréable aux grains car elle
produit, par caramélisation, un goût sucré
plus doux.
L'innovation importante qui suivit fut la cuisson proprement dite. Elle
fut rendue possible avec l'invention de la poterie qui se situe vers
8000 à
7000 ans av. J.C . Elle améliora l'alimentation des communautés.
Les grains pouvaient être mis à tremper avant d'être
cuisinés. Le passage du "cru" au "cuit"
(C. Lévy Strauss) est
un moment essentiel, culturel et nutritif. Les céréales
ainsi traitées sont plus faciles à digérer car,
gélifié
par la température et moins dense, l'amidon des grains devient
facilement attaquable par les enzymes salivaires (amylases) et intestinales
; ceci libère des sucres qui sont absorbables par le tube
digestif. On constate que le ramollissement des grains a considérablement
réduit l'usure des dents (en revanche, avec le développement
de sucres favorisant les bactéries buccales, on voit apparaître
et se multiplier les caries dentaires ...).
Il
n'est pas encore question de pain, mais de bouillies et de galettes
non levées. L'amélioration de la nutrition eut un résultat
net sur l'accroissement des populations, source de besoins alimentaires
accrus et de la nécessité
de perfectionner les rendements agricoles.
Diffusion vers l'occident : la première
"conquête de l'Ouest"
- La
céréaliculture se consolide dans le "Noyau Levantin".
La poterie culinaire se généralise vers 7000 ans
av. J.C. A partir de cette zone nucléaire va rayonner la civilisation
sédentaire. Vers l'Est et la Mésopotamie, il est
possible qu'une adaptation préagricole se soit produite sur
place car des graminées sauvages indigènes existent dans
les steppes semi-arides. Mais à l'ouest, vers l'Europe, il n'y
a pas d'espèces de blé ou d'orge spontanées. Ces
céréales ont nécessairement été importées
toutes domestiquées. Elles ont été apportées
par l'homme en même temps que les techniques agricoles, la céramique
culinaire et tout un cortège idéologique.
Cette première "conquête de l'Ouest" de la civilisation,
cette "migration de sédentaires", s'est faite progressivement,
sans doute de proche en proche. Elle a été lente et on
estime qu'elle a demandé environ trois mille ans pour atteindre
l'Atlantique. Elle a emprunté deux trajets principaux : l'un côtier,
la voie méditerranéenne, l'autre continental, dit voie
danubienne. La France est le lieu de rencontre de ces deux circuits,
le premier arrivant par le sud, le second par le nord. Des variations
culturelles se sont différenciées et l'homme a réussi à obtenir
des variétés plus rentables à grains plus nombreux
et plus gros, aux épis mécaniquement résistants.
Des espèces de blés nus apparaissent dans les paléosemences.
Ils sont plus faciles à décortiquer de leurs enveloppes.
Des outils agricoles élaborés se retrouvent de plus en
plus nombreux, comme des couteaux à moissonner faits d'un silex
taillé en lame, assemblé dans une poignée de bois
dur et collé par des résines d'arbres. Les silex ont le
poli caractéristique dit "lustrage spéculaire" produit
par les parties dures des chaumes. Des bâtons
à fouir ont également été utilisés
pour préparer le sol.
Les
premières araires, ancêtres des charrues,
permettent de fendre la terre pour les semailles mais non de la retourner
car elles n'ont pas de soc verseur comme les vraies charrues
(qui n'apparaîtront qu'au Moyen-Age). Les sillons étaient
peu profonds, multiples et croisés, et non parallèles
comme ils furent ultérieurement. Des meules utilisées
pour moudre le grain ont également été
retrouvées, une était fixe et l'autre maniée à la
main. Des déformations caractéristiques sont repérables
sur les squelettes au niveau des genoux et des épaules indiquant
que ce travail de mouture devait être une longue et harassante
occupation journalière des ces pionniers.
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